La désertification médicale

Publié le par Democratie & Solidarite

La démographie médicale

 

Nous sommes inscrits durablement dans  un processus d'effondrement de la démographie médicale.

En 1972, le numerus clausus permettait à  8571 étudiants en médecine de franchir le cap de la première année. À partir de 1991 et durant de nombreuses années, le chiffre a été inférieur à 4000 alors que les besoins en soins médicaux explosaient du fait de l'augmentation de la durée de vie et de l'augmentation de la population française à près de 66 millions actuellement. Depuis trois ans le nombre d'étudiants admis en deuxième année est de 7400, c’est encore insuffisant mais les capacités en formation des facultés de médecine sont saturées. Au 1er janvier 2009,  199 736[1] médecins ont une activité régulière. L'âge moyen des médecins en France est de 51 ans. La tranche d'âge des plus de 60 ans compte une augmentation de plus de 53 % en un an. Notre département des Hautes Pyrénées est déjà entré en décroissance médicale, moins  3,19 % pour la période 2008-2009. Est-il  un des moins attractifs de Midi  Pyrénées après le Gers (-7 %)? Alors que nous partons d’une densité médicale  élevée (346 médecins pour 100 000 habitants), cette tendance  probablement se confirmera. La densité médicale nationale passe de 322 à 312 entre 2008 et 2009. Midi Pyrénées se situe en 5ème position des régions les mieux pourvues. En queue de peloton sans surprise la Picardie rame avec ses 250 médecins pour 100 000 habitants.

Nous côtoyons et  formons actuellement durant leur stage de spécialités  les futurs médecins de la nation. Ils ou elles (70 % de filles) ont  nécessairement une tête bien pleine, obtention d'un bac scientifique avec une mention très bien la plupart du temps ; l'allongement de la durée des études médicales les détermine à un choix de vie qui privilégie, certes leur  formation exigeante mais aussi une vie de relations et de loisirs, la médecine générale semble ne pas les attirer par le  choix de vie qu'elle implique, le mode d'exercice, et l’aspect technique et technologique qui leur semble restrictif par rapport aux médecines spécialisées (réanimation, cardiologie, radiologie). Au premier janvier 2009, sur les 5166 nouveaux médecins  inscrits au conseil de l'ordre, 67 % ont choisi une activité  salariée, 10 % seulement un exercice privé[2], 22 % ont commencé leur activité sous forme de remplacement. La forme salariée se répartit entre activité hospitalière, activités de contrôle, médecine du travail, médecine scolaire ou préventive… etc.

 

Le sacerdoce de la médecine générale ne fait plus recette.

Ce mode d'exercice s’est néanmoins amélioré pour les praticiens par la limitation des gardes et astreintes et la mise en place de maison médicale. Mais il est évident qu'il faut aller plus loin. Très récemment une maison de santé avec 22 « plaques » de différents professionnels  a été inaugurée en Charente. C'est la structure  probablement à laquelle il faudra tendre dans les zones qui seront bientôt en proie à une désertification médicale incluant les banlieues des grandes villes. La création d'un corps « d'infirmières médicales » d'une formation de cinq années, (comme les sages-femmes habilitées à une  prescription médicale limitée) permettrait le suivi de routine au domicile des personnes âgées, des personnes à mobilité réduite et le cas échéant le transfert des patients vers les maisons de santé ou les hôpitaux.

 

Le recours aux médecins à diplôme étranger au rôle essentiel dans de nombreux hôpitaux français est devenu incontournable.

C’est une conséquence de la sélection irresponsable des années 90, encouragée à l'époque par toutes les institutions de la république et les syndicats médicaux à l'exception de la conférence des doyens des facultés de médecine. Nous nous  garderons bien de parler de médecins étrangers : il s’agit de médecins à diplôme étranger ; il faut alors s’intéresser à la qualité de la formation. L'expérience nous permet de constater l’extrême variabilité des formations et des compétences depuis l’excellence pour certains jusqu’à l’impératif de remise en question de toute pratique médicale sur notre territoire pour d’autres. Le Quotidien du Médecin daté du 17 novembre présente le nouveau secrétaire d'État à la santé et met l’accent sur sa formation : échec au concours en médecine à Lyon, obtention du doctorat en médecine à Oran ; la sélection républicaine est implacable, elle a une valeur d'exemplarité pour tous.

 

La question du maintien des plateaux techniques.

Le maintien des plateaux techniques « réanimation-blocs opératoires-maternités » des   hôpitaux de proximité ne se pose bien entendu plus : il n'y a guère que dans les discours démagogiques,  parfois politiques, ambiant que les maternités, les blocs opératoires et les services de réanimation  de proximité sont destinées à rester pérennes : il faudrait  un minimum de neuf praticiens hospitaliers de qualité pour assurer  le fonctionnement d’une petite maternité qui ne fait pas plus d’un accouchement par jour (trois gynécologues obstétriciens qualifiés en chirurgie, trois anesthésistes-réanimateurs, trois pédiatres compétents en réanimation néo-natale) la plupart du temps il n'y a pas de pédiatre soit un écart intolérable et incompréhensible avec la sécurité, que les personnels hospitaliers (sage-femme et médecins) pourraient revendiquer comme un droit de retrait par rapport à celle ci.

La situation économique des hôpitaux de France est objectivement très préoccupante, plusieurs millions d’euros de déficit pour notre hôpital de référence départemental avec un autofinancement largement négatif pour les années à venir, interdisant tout investissement majeur. Déjà certains départements[3] du fait d’une crise du recrutement, ont perdu toute autonomie en matière de soins chirurgicaux de qualité, les habitants étant dans l’obligation de quitter leur département pour gagner un autre hôpital départemental ou le CHU le plus proche. Les guerres picrocholines auxquelles nous, professionnels de santé assistons, vont aboutir à ce résultat, à l’horizon des cinq ans, pour notre département, la forte polarisation du système de soins public-privé de Pau  et deux CHU majeurs Toulouse et Bordeaux (ouverture de l’autoroute Tarbes Bordeaux dans peu de temps) étant on ne peut plus concurrentiels . Le modèle auquel il faudrait  tendre est la constitution d’une large plate forme de soins médecine-obstétrique-chirurgie public privé départementale pour l’intérêt princeps  des premiers concernés : les malades.

La médecine de premier recours.

Par contre une médecine de qualité de premier recours doit être renforcée, une trame médicale allant de la prévention secondaire à la prévention  tertiaire et éducation thérapeutique passe par un réseau de soins, pas nécessairement technocratique, mais humain organisé par les praticiens et praticiennes de santé toute disciplines confondues : infirmières, aides soignantes, masseurs kinésithérapeutes, psychologues…et médecins avec des conseils de patients tirés au sort dans la tradition d’isonomie de la démocratie athénienne antique. pour architecturer l’ensemble. L’hôpital de proximité en serait la pierre angulaire, avec son service d’urgences et son Smur, ses services de médecine de moyen et long séjour et sa plate forme de consultation, son centre de consultation ante natal et son service d’hospitalisation maternel du post partum…tout un panel de structures hospitalières qui ne grèverait en rien le bassin d’emploi hospitalier.  

 

Hamida Chaouky

Praticien hospitalier.

Médecin spécialiste en anesthésie-réanimation.

Docteur en histoire.

Chercheur Framespa-Cnrs



[1] Atlas national et régionaux de démographie médicale, conseil national de l’ordre des médecins

[2] Exercice libéral de la médecine ou libre choix du médecin en secteur public ou secteur privé, utilisation   impropre du terme « libéral » pour privé.  

[3] Nous nous référons aux témoignages des médecins des plates formes d’assistance médicale , particulièrement précieux en la matière

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